Histoire du Quebec
Visite du général de Gaulle au Québec (1967)
Le fil des événements
“Il y aura une République française du Canada.” – De Gaulle
A Brest, le 15 juillet 1967, le président de la République française, Charles De Gaulle, embarque à bord du Colbert, le croiseur amiral de la flotte de l’Atlantique. Ottawa a multiplié les petites difficultés en espérant que le général renoncerait au voyage. Peine perdue. Et comme pour marquer encore plus sa volonté, il a eu une idée. Pour ne pas avoir à entrer au Canada par l’Ontario, ce que l’avion et le protocole auraient exigés, il passera 8 jours dans les eaux tumultueuses de l’Atlantique Nord sur le Colbert. C’est le prix à payer pour arriver d’abord au Québec, où il considère qu’un “morceau du peuple français est installé, enraciné, rassemblé”.
Quelques jours plus tôt dans son bureau, il avait écrit ceci en prévision des discours qu’il prononcerait devant les Québécois :
“Après qu’eut été arrachée à ce sol, voici deux cent quatre années, la souveraineté inconsolable de la France, soixante mille Français y restèrent. Ils sont maintenant plus de six millions. Ce fut sur place un miracle de volonté et de fidélité. C’est pour tous les Français, où qu’ils soient, une preuve exemplaire de ce dont peut être capable leur puissante vitalité ”
Après une courte halte aux îles de St-Pierre-et-Miquelon, le Colbert entre dans les eaux canadiennes. Deux frégates canadiennes l’escortent et un officier de liaison canadien, le commandant Plant, embarque à bord du Colbert. Il ne parle pas français. Le gouvernement canadien veut ainsi signifier à De Gaulle qu’il pénètre dans un pays Anglais. Où est-il ce beau bilinguisme que l’on vante tant à l’étranger ? Pour acceuillir le Président de la République Française on envoit un officier unilingue anglais…..
Le 23 juillet, c’est l’arrivée au pied de la Citadelle de Québec. Encore une fois, Ottawa veut humilier son invité avec, pour le recevoir, une garde d’honneur en tuniques rouges et bonnet d’ourson à poils noirs. On ne peut imaginer un uniforme plus Britannique. La foule, elle, a choisit son camps et ovationne quand la musique joue La Marseillaise. Il faut tendre l’oreille pour entendre un vague murmure lorsque c’est le tour du God save the Queen.
Le soir même, lors d’une réception officielle au Chateau Frontenac il s’adresse aux invités et au premier ministre Daniel Johnson :
“On assiste ici, comme en maintes régions du monde, à l’avènement d’un peuple qui, dans tous les domaines, veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées….Cet avènement, c’est de toute son âme que la France le salue”.
Les Québécois n’ont pas l’habitude de se faire dire, par leurs élites, qu’ils forment un peuple capable de prendre en main ses propres affaires. Le général vient leur rappeler cette simple vérité, et leur dire qu’ils ne sont pas seuls.
Le lendemain il entreprend son voyage vers Montréal en suivant le “Chemin du Roy”. La foule est nombreuse et présente tout au long de la route. La Marseillaise est entonnée à chaque arrêt et on agite des pancartes portant la mention “Québec libre !”.
À Montréal, une foule en liesse l’attend sur la rue Shebrooke. L’hymne Ô Canada est hué alors que La Mareillaise est ovationnée.
Arrivé à l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967 vers 19h30, le maire Jean Drapeau est là. Il lui parle de “l’accueil d’une grande ville cosmopolite fait à un grand homme !”
De Gaulle ne comprend pas. Cosmopolite ? Mais la foule hurle “Vive de Gaulle”, “France Libre”, “Québec Libre !”, “le Québec aux Québécois”. Pour lui c’est une ville Française qui lui tend la main.
Drapeau tente alors de l’entrainer vers une terrasse où l’attendent des personalités triées sur le volet. Mais le général veut s’adresser à la foule. Il demande alors au maire quand il pourra, du balcon de l’hôtel de ville, parler à tous ces gens. Le maire répond que ce n’est pas à ce balcon qu’il doit prendre la parole. Puis, devant l’insistance du Président, il ajoute qu’il n’y a pas de micro…
“Et ça, qu’est-ce que c’est ?” répond alors De Gaulle croyant apercevoir un pied de micro et des cables sur le balcon. Un peu ridicule, Drapeau répond : “C’est un micro, mais.. il n’est pas branché !”.
“Ce n’est rien Monsieur le maire, je peux très bien le brancher” dit alors le général. Un technicien qui assiste à la scène prend l’initiative de le brancher. C’est ainsi que le petit maire, l’homme lige d’Ottawa dans la métropole, voit un simple technicien, qui est là par hasard, donner la parole à De Gaulle pour qu’il s’adresse aux Québécois.
“C’est une immense émotion qui remplit mon coeur en voyant devant moi la ville de Montréal (pause) française. Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas… (pause)
…Ce soir, ici et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. (pause)
Et tout au long de ma route, outre cela, j’ai constaté quel immense effort de progrès, de développement et par conséquent, d’affranchissement que vous accomplissez ici. Et c’est à Montréal qu’il faut que je le dise, parce que s’il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c’est la vôtre.
Je dis que c’est la vôtre et je me permets d’ajouter c’est la nôtre.
Si vous saviez quelle confiance la France réveillée par d’immenses épreuves porte vers vous (pause) (acclamations)
Si vous saviez quelle affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada et si vous saviez à quel point elle se sent obligée à concourir à votre marche en avant, à votre progrès (pause)
C’est pourquoi elle a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson, des accords pour que les Français de part et d’autre de l’Atlantique travaillent ensemble à une même oeuvre française.
Et d’ailleurs le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires qui feront l’étonnement de tous, et qui, un jour – j’en suis sûr – vous permettrons d’aider la France…
Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir, en ajoutant que j’emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière, sait, voit, entend ce qui s’est passé ici. Et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux.
VIVE MONTRÉAL
VIVE LE QUÉBEC… (pause) (vivats) VIVE LE QUÉBEC LIBRE (euphorie de la foule)
Vive le Canada français et vive la France ”
Ca y est ! Il l’a dit. Dans son remarquable roman biographique De Gaulle, Max Gallo décrit ainsi ce moment, immédiatement après qu’il eût prononcé les paroles célèbres :
“Il aperçoit la mine inquiète de Couve de Murville. Le ministre des Affaires étrangères doit déjà imaginer les suites diplomatiques de ces quatre mots qui emplissent la place, “Vive le Québec libre !”, et qui vont, il en est sûr, faire connaître au monde entier ce nom de Québec que tout le monde ignorait, comme si, il y a quatre siècles, ce n’étaient pas des Français qui avaient peuplé cette partie du continent, comme si, il y a deux cent quatre ans, ils n’avaient pas été réduits au silence par des vainqueurs orgueilleux, décidés à les asservir, à les déporter, à les humilier. Et comme si, malgré tout, ils n’avaient pas maintenu, développé, leur peuple.”
À Ottawa, on est furieux. On considère les déclarations du général comme “inacceptables”. Le Canada refuse d’envoyer son ministre des Affaires étrangères à la réception du président de la République à l’ambassade de France. De Gaulle lui, ne regrette rien. Il n’était pas venue au Québec pour rencontrer des notables et les complices du Canada anglais.
Le lendemain il ira visiter le pavillon de la France à l’Exposition Universelle ainsi que le métro. Il prononcera également un discourt à l’Université de Montréal sous le regard désapprobateur du Cardinal Léger. Enfin, il présidera un grand souper officiel à l’hôtel de ville de Montréal.
Il n’ira pas à Ottawa et prendra l’avion à l’aéroport de Montréal le mercredi 26 juillet pour se rendre directement en France. Aucun représentant du gouvernement fédéral ne s’est présenté pour son départ.